L’immigration est un sujet qui préoccupe les français. La réduction de cette migration est portée par l’extrême droite pour privilégier les français aux étrangers. La France ne pourrait pas se passer de l’immigration économique. C’est ce qu’avançait Anne Hidalgo le 31 octobre alors invitée du Grand Jury RTL. Mais qu’est-ce que l’immigration économique exactement et pourquoi en avons-nous besoin ? Trois questions pour le comprendre.

“Vous croyez vraiment que l’on va arriver à s’en sortir, sans qu’il y ait une immigration économique qui continue à venir dans notre pays ?” déclarait la candidate du parti socialiste, Anne Hidalgo, le 31 octobre 2021, au micro du Grand Jury RTL. Elle dénonce la “vision desséchée et étriquée” de ses adversaires. L’importance donnée à cette immigration est-elle justifiée ? L’immigration économique a-t-elle un réel impact sur les français ? 

 

1/ Qui sont les “immigrants économiques” ?
 

Selon le Robert, la migration est le “déplacement de populations qui passent d'un pays à un autre pour s'y établir.” Le migrant économique est donc, selon le dico de l'Éco, une personne qui “arrive légalement dans un pays pour travailler. On l'appelle ainsi quand il a demandé un droit de séjour et que celui-ci a été approuvé. La durée de son séjour varie de quelques mois pour les saisonniers par exemple, à plus d'une année.” 

Contrairement aux réfugiés, les migrants économiques ne peuvent pas obtenir le droit d’asile. Ils ne fuient ni conflits, ni persécutions et n’ont donc pas de raisons humanitaires de se déplacer. 

Les migrants économiques viennent en France pour travailler. Ce sont en grande majorité des travailleurs légaux, possédant un titre de séjour délivré par l’Etat, et étant de plus en plus qualifiés. De nos jours, cette migration tend à devenir de plus en plus diversifiée, tant sur les pays d’origine que sur ceux de destination des immigrés.

L’immigration économique représente environ 36.000 titres de séjour sur les 170.000 accordés en 2021. 72% des titres ont été attribués à des salariés, 13% à des scientifiques (chercheurs) et 11% à des emplois saisonniers. C’est le quatrième motif d’immigration en France. Sur les 277.406 titres accordés en 2019, 90.000 étaient destinés à de l’immigration familiale, 38.000 à des réfugiés et 90.000 titres supplémentaires étaient destinés aux étudiants. Les migrants économiques ne représentent donc qu’un septième de l’immigration française. 
 

L’enquête sur l’emploi des immigrés de l’Insee montre qu’en 2017, les hommes immigrés sont principalement ouvriers (à 45%, contre 32% des hommes non immigrés), et les femmes  employées (à 47,5%). Seulement un travailleur régularisé sur dix trouve un emploi comme technicien ou dans une profession intermédiaire. 

Graphique proposé par l'enquête emploi en continu 2017 © Enquête emploi en continu 2017

Graphique proposé par l'enquête emploi en continu 2017 © Enquête emploi en continu 2017

Les immigrés irréguliers travaillent dans des emplois peu qualifiés. En France, 63% sont ouvriers (dont 34% dans des postes peu qualifiés) et 27% travaillent dans le secteur des services. En général, les immigrés originaires de l’UE occupent des emplois plus qualifiés.

Aujourd’hui, les titres sont plus aisément attribués grâce à la loi du 7 mars 2016, créant une nouvelle catégorie de titre de séjour : les “passeports talent”. En 2021, 37 000 titres de séjour « passeport talent» ont été délivrés (environ 11 000 premiers titres et 26 000 titres en renouvellement). 

Elle permet à de nombreuses personnes d’obtenir plus facilement un visa français : travailleurs hautement qualifiés, chercheurs, créateurs d’entreprises, porteurs de projets, investisseurs, artistes-interprètes… et plus généralement tous les étrangers ayant une renommée nationale ou internationale.

 

2/ "Les immigrés piquent le travail des français ?" 

Les immigrés prennent les emplois des français natifs. Cette idée reçue est partagée par l’extrême droite. "Le problème de la France est l'immigration, même de la main-d'œuvre qualifiée, hyper qualifiée, il faut arrêter toute immigration.", expliquait Eric Zemmour (Reconquête!) le 21 janvier 2022 sur le plateau de BFMTV. Au contraire, Anne Hidalgo (Parti Socialiste) considère l’immigration économique bénéfique pour la France. 

Depuis la crise économique de 1970, due au premier choc pétrolier, la main-d'œuvre immigrée a une mauvaise image auprès des français. La population locale est méfiante et a peur de la concurrence que ceux-ci provoqueraient, dans une période de hausse du taux de chômage. Pourtant, même si l’immigration économique prend des postes, elle apporte aussi une nouvelle offre de travail. Cette population a besoin de logements, de soins, de biens…. Ces besoins créent de nouveaux emplois. 

Selon Ekrame Boubtane, chercheuse et auteure de L’économie de l’immigration, l’immigration a un impact bénéfique sur les salaires des natifs : “sur la période récente, l’effet de l’immigration sur le salaire moyen des travailleurs qui ont un faible niveau d’étude est plutôt positif en France. Cet effet semble négatif pour les travailleurs qui ont un haut niveau d’étude. L’immigration de personnes avec un niveau d’études de plus en plus élevé semble contribuer à réduire les inégalités salariales en France”.

La main-d'œuvre immigrée apporte de nouvelles compétences aux français. “Un tiers des immigrés dans les pays de l’OCDE et en Europe sont diplômés du supérieur”, selon Jean-Christophe Dumont, chef de la division migrations internationales à l’OCDE. Elle complète aussi l’offre de travail dans des secteurs délaissés. Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de juillet 2021, les immigrés sont surreprésentés dans les métiers où “les conditions de travail sont plus contraignantes que la moyenne”.

L’étude DARES relève que les immigrés sont surreprésentés dans les professions des services aux particuliers et aux collectivités ou ceux du bâtiment et des travaux publics. 

Graphique sur les professions où les immigrés sont les plus nombreux par rapport à leur niveau de tensions (en pourcentage) © Le Point

Graphique sur les professions où les immigrés sont les plus nombreux par rapport à leur niveau de tensions (en pourcentage) © Le Point

Certains métiers sont interdits aux étrangers hors Union européenne. Ils ne peuvent pas accéder à la fonction publique en tant que titulaires. 

Les immigrés sont plus à même de travailler que les non immigrés. Le cœur de la population en âge de travailler, représenté par la tranche d’âge des 25 à 54 ans, est plus élevé chez les immigrés selon l’Insee. En 2018, ils correspondaient à 53 % contre 36 % pour les non immigrés.

Pour la spécialiste Ekrame Boubtane : “L’immigration contribue à augmenter la part des personnes d’âge actif dont les effets économiques et fiscaux sont bénéfiques dans les principaux pays de l’OCDE. En effet, ces pays sont caractérisés par une population vieillissante et des dépenses publiques importantes, notamment sous la forme de transferts vers les personnes âgées. Les jeunes immigrés, déjà formés, arrivent directement sur le marché du travail. Ils contribuent à financer les dépenses publiques destinées à la population dépendante. Les recettes publiques par tête augmentent avec l’immigration et les dépenses de retraite par tête diminuent”.

Graphique sur la composition des immigrés et non-immigrés en France par tranche d’âge (en pourcentage) © Insee

Graphique sur la composition des immigrés et non-immigrés en France par tranche d’âge (en pourcentage) © Insee

Pour venir travailler en France, un immigré doit suivre certains critères stricts. Le demandeur d’asile doit disposer au préalable d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail. Le préfet peut refuser une autorisation provisoire de travail “si le niveau de chômage est trop important pour le métier dans le bassin d’emploi considéré”

Dans les vingt mesures qui constituent les grands axes de la politique migratoire d’Edouard Philippe, présentées le 6 novembre 2019, la mise en place de quotas est envisagée. Cette idée était déjà portée par la droite et le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy en 2006. L’objectif de cette mesure est de recruter des immigrés en fonction des besoins de travail du pays, en fixant un nombre d'autorisations temporaires de travail pour les secteurs d'activité en tension. Ainsi, les immigrés économiques viennent travailler dans des secteurs abandonnés par les français.

Un travailleur immigré ne peut obtenir une carte de séjour salarié et travailleur temporaire que dans les secteurs d’activité en manque de main-d’œuvre. Une liste énumère tous ces métiers dits “sous tension”, par région, à la recherche de main-d'œuvre d’étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne. Elle existe depuis l’arrêté du 18 janvier 2008 et a été actualisée en 2021. Plusieurs professions se retrouvent d’une région à l’autre : charpentiers, agents d’entretien, conducteurs routiers, géomètres, maraîchers, ingénieurs, ouvriers…

Selon une partie du patronat français, ces besoins de recrutement peuvent être résolus par l’immigration. Karim Khan, président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie pour la Bretagne, estimait en 2019 à tv5monde que : “plus de 100.000 offres d'emploi ne trouvent pas preneurs dans la restauration”. 


 

3/ Quel est le réel coût de l’immigration en France ?

La question du coût de l’immigration est revenue dans les débats politiques lors de la campagne électorale. Pour y répondre, il faut se baser sur le rapport sur l’immigration réalisé par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) d’octobre 2018. L’organisation regroupe 25 pays occidentaux, dont la France, et permet d’analyser à l’échelle des grandes puissances le coût de l’immigration. Il faut aussi se baser sur les données de l’INSEE concernant l’immigration, chargé de la production, l’analyse et la publication de statistiques concernant la France. 

D'après l’OCDE, la contribution fiscale des immigrés est supérieure aux dépenses consacrées à leur protection sociale. En moyenne, un individu s’installant en France donne plus à l’Etat qu’il ne reçoit. "[...] les personnes immigrées et leurs familles bénéficient des services publics, cela représente bien un coût pour les finances publiques. Mais ces personnes contribuent aussi à financer les services publics, ils paient des impôts directs et indirects ainsi que des cotisations sociales” affirme Ekrame Boubtane.

Graphique proposé par l’OCDE représentant la contribution fiscale des immigrés dans les pays de l’OCDE ©OCDE

Graphique proposé par l’OCDE représentant la contribution fiscale des immigrés dans les pays de l’OCDE ©OCDE

Les recettes, en dollars américains, représentent 2,5 milliards. Les dépenses des Etats allouées aux immigrés s’élèvent à 2 milliards. D’un point de vue purement fiscal, l’immigration rapporte donc 500 millions de dollars au pays d’accueil. 

Les impôts payés par les français non-immigrés ne servent pas à financer les aides sociales des migrants. Le contraire se produit même, car l'excédent de 500 millions de dollars peut aider les natifs à percevoir des aides d’Etat. Propos à nuancer cependant, car les natifs rapportent encore plus à l’Etat. Un ratio budgétaire permet de les distinguer. Ce dernier prend 1 comme valeur de référence (ici, les natifs) et se concentre sur le ratio des étrangers par rapport à la référence. Ainsi, si la valeur est au-dessus de 1, cela signifie que les étrangers rapportent plus fiscalement que les natifs et inversement. Si l’on effectue une estimation du ratio budgétaire des étrangers sur le ratio budgétaire des natifs, la France affiche un résultat de 0,938. Autrement dit, les natifs engendrent plus de recettes pour l’Etat que les immigrés à échelles égales.

Graphique de l’OCDE ©OCDE

Graphique de l’OCDE ©OCDE

Cela s’explique par l’insertion plus difficile dans le monde du travail des étrangers. Le rapport de l’OCDE démontre qu’en 2020, les immigrés actifs ont un taux d’emploi de 59,1% contre 66,3% pour les natifs, et un taux de chômage de 12,6% contre 7,4% pour les natifs français. Or, n’ayant pas d’emploi, les immigrés ne peuvent participer à la vie fiscale du pays d’accueil.

Finalement, il est difficile d’affirmer que l’immigration rapporte ou coûte. La réponse dépend de la manière dont on souhaite interpréter les choses.

D’abord, l’immigration engendre plus de recettes et fait grossir le PIB. En prenant en compte le travail produit, les impôts payés, les consommations réalisées… des immigrés et en soustrayant les aides sociales qui leurs sont apportées tout comme les frais de santé, de transports, d’infrastructures publiques… cela aboutit à un gain d’1,02% du PIB français selon l’OCDE

“Nos premiers résultats datent de 2013 et montrent que l’immigration, notamment l’immigration familiale a des effets positifs sur le PIB par tête en France”, souligne Ekrame Boubtane qui travaille depuis plus de 10 ans sur cette question. Elle est même allée plus loin : “Nous avons entrepris d’évaluer les effets des flux demandeurs d’asile sur les économies et les finances publiques en Europe, et nous avons montré que les flux de demandeurs d’asile n’ont pas constitué une charge économique pour les pays européens. Nous avons également examiné les effets des flux de migrants permanents, et nous avons montré qu’ils contribuent à améliorer significativement le solde budgétaire dans les pays européens”.

Ce constat remet en question l’utilité des débats autour de la question de l’immigration. Celle-ci, d’après l’INSEE, aurait même ajouté 23 milliards d’euros au PIB français en 2018.
 

Graphique de l’OCDE ©OCDE

Graphique de l’OCDE ©OCDE

Dans une autre mesure, l’immigration coûte de l’argent à la France. Hors dépenses consacrées au service de la dette, les immigrés coûtent de l’argent. D’après l’OCDE, en prenant ce critère en compte, le PIB perdrait 0,53% chaque année.
 

Graphique de l’OCDE ©OCDE

Graphique de l’OCDE ©OCDE

L’immigration peut ainsi être perçue comme créatrice de revenu ou comme créatrice de déficit. Dans tous les cas, l’immigration représente une part marginale du PIB français. Les experts s’accordent à dire que la contribution au PIB de la communauté immigrée oscille entre -1 et 1%. Ces valeurs illustrent la faible influence de l’immigration sur l’économie.

Pour éviter toute interprétation et pour aider les pays occidentaux, l’OCDE conseil à ceux-ci d’investir massivement dans l’intégration des immigrés. Cette action est, selon l’organisation, le meilleur moyen de créer régulièrement de la richesse grâce à l’immigration. 

 

 

Finalement, l’immigration économique est bénéfique pour la France. La main-d'œuvre immigrée permet de combler les emplois abandonnés par les français natifs, qui sont pourtant nécessaires au fonctionnement de la société. La consommation et la contribution fiscale de ces immigrés apportent beaucoup au pays d’accueil. Cependant, leur présence ne comble pas un besoin mais aide l’Etat à se porter mieux. La fluctuation de 1% de plus ou de moins sur le PIB en leur présence est faible. 

Ainsi, l'affirmation d'Anne Hidalgo concernant la nécessité d'une immigration économique en France est vérifiée en matière d'emploi. Mais, elle peut être remise en question avec l'interprétation de certains chiffres au niveau économique. 

 

Galane Maréchal, Loïs Patton et Amandine Rossato
 

Bibliographie :

Retour à l'accueil